Je n’écris jamais le mot fin

Je viens de terminer une histoire sur laquelle je travaille depuis 10 ans. Terminer? A-t-on jamais terminé une histoire? Il reste du travail, certes, mais cette fois j’ai l’impression que la structure est plus solide. Il y a un temps où il faut laisser partir les pages, les mots, vers d’autres yeux.

J’ai la chance d’avoir deux jeunes hommes, de très bons lecteurs, qui ont accepté de lire mon histoire pour me donner leurs commentaires. Des commentaires d’enfants sur un texte d’enfant. Je suis ravie. J’aimerais bien créer des partenariats avec des écoles primaires et des garderies pour tester mes histoires avant de les envoyer aux éditeurs. Ça se fait, ça?

Cette histoire sur laquelle je travaille depuis si longtemps me tient à cœur. C’est un conte de princesse et de chevalier qui joue avec les stéréotypes de genre. C’est mon thème, ça, combattre les stéréotypes de genre dans la littérature jeunesse. Je ne dis pas que je réussis toujours à bien le faire passer, mais c’est ma préoccupation, en tout cas.

Il y a un travail à faire pour éduquer les hommes et les femmes alors qu’ils ne sont que des enfants. Nous avons notre devoir à faire en tant qu’auteur jeunesse.

Je réalise que cette histoire me touche d’une manière différente suite au mouvement #AgressionNonDenoncee. Quel lien? Les stéréotypes de genre sont certainement en partie responsables du droit qu’un homme croit avoir de faire usage de force pour obtenir ce qu’il veut d’une femme ou d’un enfant. On apprend aux hommes à être forts, à être mâle. On ne leur apprend pas ce qu’ils doivent faire quand ils sont malheureux, quand ils sont frustrés dans leurs besoins, maladroits. On leur apprend à chercher le pouvoir, à être ambitieux, mais pas comment accepter qu’il y ait des choses sur lesquelles ils n’ont pas de contrôle. Que la force et la manipulation ne sont pas des manières pour obtenir ce qu’ils veulent. Tout ça, on peut le montrer aux hommes en leur présentant des personnages masculins plus variés. Des efforts ont été faits du côté des filles pour montrer des personnages féminins plus déterminés, qui disent non, qui se font respecter. Mais il y a encore trop de livres de princesses qui attendent leur prince charmant, de filles qui doivent être gentilles et coquettes, de petits poupées fragiles dont on doit prendre soin sans qu’elles n’aient leur mot à dire.

Je n’écris jamais le mot fin au bout de mes histoires. Parce qu’elles ne sont pas terminées. Elles continuent de vivre en nos jeunes lecteurs. Elles font leur chemin.

Une agression, même petite, même celle qu’on essaie d’oublier, qu’on ne veut pas voir, qu’on minimise ou banalise, ça ne vient pas avec le mot fin non plus. Ça continue de vivre en soi. Ça fait son chemin. Il faut les combattre, ces agressions, une à la fois, toutes en même temps. Ce n’est pas parce qu’on n’écrit pas le mot fin qu’on ne doit pas y croire.